Booking.com vient de se voir infliger une amende record de 413 M€ en Espagne pour « abus de position dominante ». Est-ce justifié ?
On est ici dans le cadre règlementaire du DMA (Digital Market Act), organe récemment constitué pour contrôler la position dominante de géants du Net et notamment des GAFAM. Cette nouvelle législation est entrée en vigueur en mars 2024.
Au programme :
1. Ce qui est reproché à Booking.com
2. Alors à qui la faute ?
3. Que faire ?
Ce qui est reproché à Booking.com
« Imposer diverses conditions commerciales déloyales aux hôtels situés en Espagne qui utilisent ses services d’intermédiation de réservation et restreindre la concurrence d’autres agences de voyage en ligne qui offrent les mêmes services ».
On est toujours un peu mal à l’aise lorsque l’abus de position dominante concerne un intermédiaire qui a réussi. Car en tant qu’OTA (Online Travel Agency), Booking.com n’est après tout qu’un intermédiaire. Et les hébergeurs en ont profité assez largement. Il est certes difficile pour un petit acteur d’acquérir de la notoriété mais Booking.com fait justement partie de ces intermédiaires qui ont fortement investi pour donner de la visibilité à ceux qui n’en avaient pas.
Le régulateur estime que l’OTA néerlandaise contrôle 70% à 90% du marché hôtelier espagnol. Et c’est évidemment problématique. Mais cela reste de la responsabilité des hôteliers de diversifier leur distribution, de segmenter leur demande, de développer d’autres segments comme le Corpo, de développer leur vente directe ou de fidéliser leurs clients.
Alors à qui la faute ?
La puissance publique est dans son rôle lorsqu’elle est vigilante sur un certain nombre de sujets pénalisants pour les clients, par exemple sur l’impossibilité de trier les offres selon certains critères, ou sur des informations invérifiables du type « plus que 2 chambres à ce prix », etc. Elle est aussi dans son rôle lorsqu’elle protège les hôteliers contre des clauses contractuelles jugées peu claires, par exemple le « manque de transparence sur l’impact et la rentabilité de la souscription aux programmes Preferred, Preferred Plus et Genius ».
En revanche, on reproche à Booking.com d’imposer la parité tarifaire. Cette disposition était pourtant la règle pour tout le monde il y a encore quelques années. Et c’était une règle de bon sens : elle imposait à l’hôtelier de ne pas faire de concurrence déloyale à ses partenaires de Distribution en profitant, d’un côté, de la visibilité offerte par un OTA tout en martelant bien fort, de l’autre, que les prix étaient moins chers en direct sur son site web. En d’autres termes, c’est à Booking.com de faire le boulot pour faire connaître le produit et c’est l’hôtelier qui convertit les ventes par un prix plus bas. On comprend donc à quoi sert la parité tarifaire. Et ce n’est pas choquant dans ces conditions que Booking.com défende cette position.
Le principe d’un OTA est simple : il vous amène du business et, en contrepartie, il perçoit une commission. Dans son mix Distribution, il faut donc s’appuyer sur ce type d’acteurs sur des territoires qui ne sont pas en concurrence frontale avec ses propres clients, par exemple sur des marchés étrangers et investir dans les outils marketing sur son propre marché.
Que faire ?
Le régulateur pourrait par exemple, à l’instar de ce qu’il tente mollement de faire dans la Grande Distribution, veiller à une bonne répartition de la valeur. Mais c’est toujours délicat de mettre le doigt dans cet engrenage qui ferait entrer partiellement le Tourisme dans une économie trop réglementée et demain subventionnée. Plafonner les taux de commission à 20% pour éviter qu’un OTA n’oblige les opérateurs les plus fragiles à s’acquitter d’une commission déraisonnable peut être une piste.
Concernant le deuxième grief reproché par le régulateur, « … restreindre la concurrence d’autres agences de voyage en ligne qui offrent les mêmes services », le sujet est plus délicat. Prendre des parts de marché et les amplifier en étant meilleur que les autres est difficilement répréhensible, sauf dans des cas spécifiques, déjà rencontrés dans l’aérien par exemple.
On se souvient de la faillite de XL Airways, dont la tombe a été creusée par le déficit abyssal de Norwegian qui vendait ses longs courriers au prix d’un TGV Paris-Marseille. La compagnie aérienne basée à Oslo, en dehors de l’Union Européenne et soutenue par la couronne danoise via la banque publique DNB Bank, avait dû lever 6 milliards de couronnes de capitaux frais pour éviter la faillite à son tour.
Ce type de situation, qui peut conduire à tuer un concurrent au prix d’un endettement démentiel, doit être régulé. Le cas de Microsoft a également fait l’objet de grandes controverses en raison de sa situation quasi monopolistique, avec notamment l’intégration de systèmes fermés freinant l’émergence de normes plus ouvertes, l’intégration par défaut de navigateurs (Internet Explorer) ou les ventes liées de Windows avec les PC des constructeurs.
Si Booking.com s’est rendue coupable de tels agissements, elle doit en répondre afin de ne plus étouffer la concurrence et réparer ce qui peut l’être. Mais les arguments du régulateur n’ont pas été révélés et il est difficile de porter un jugement sur cet aspect du dossier. Dans ce cas, ce seraient davantage les concurrents OTA que les hôteliers qui auraient été lésés.
Pour le reste, on semble ici reprocher à un OTA d’avoir réussi. Et d’avoir réussi sur le manque d’investissement des hôteliers. Il leur revient maintenant de reprendre le pouvoir. Et pour la noblesse de notre métier, de le faire par le marché, plus que par la loi.
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