Billetterie & RM : quand le mauvais timing coûte cher
Prix qui dégringolent, stades vides, panique en billetterie… et si le vrai problème, c’était le...
Voir plusL’IA impose la personnalisation extrême dans l’aérien : quels défis pour les Revenue Managers et leurs modèles de tarification ?
C’est par ce titre pour le moins alarmiste que Hugo Pellegrin de Tom Travel signe son article. Il relaie l’information selon laquelle la compagnie Delta Airlines entend déployer plus massivement son nouvel algorithme d’IA combinant un «Large Modèle de Marché (LLM)», un «moteur de tarification génératif (GPE)» et un «moteur d’inventaire génératif (GIE)».
Deux sénateurs démocrates américains sont montés au créneau, qualifiant l’initiative de « pratique abusive » : « La tarification individualisée, ou tarification basée sur la surveillance, remplace un prix fixe ou statique par des prix adaptés à la disposition à payer de chaque consommateur. Les pratiques actuelles et prévues de tarification individualisée de Delta posent non seulement des problèmes de confidentialité des données, mais entraîneront probablement aussi des augmentations de prix (…) ».
Le sujet suscite également de l’inquiétude parce que les détails de cette tarification individualisée n’ont pas été révélés, notamment concernant le degré et la nature de l’individualisation. Alors que faut-il en penser ?
La problématique est complexe et les enjeux sont de différentes natures :
La question posée ici est celle de la discrimination. Différencier les prix en fonction de son comportement d’achat passé ou de sa navigation sur le web relève-t-il de la segmentation ou de la discrimination ? Jusqu’à présent, la demande était analysée par groupes de clients homogènes : Early booker vs Late booker, Loisirs vs Affaires, Groupes vs Individuels, One Way vs Aller – Retour, point à point vs connexions, marché domestique vs marché « bout de ligne »,…
La différenciation éventuelle des prix selon ces groupes, sans distinction de nationalité ou de genre bien sûr, est bien considérée comme une segmentation valide. La question juridique qui va se poser est de savoir si Pierre et Aurélie pour le même aller-retour, au même moment, sur les mêmes vols, pourront avoir des prix différenciés.
Par exemple parce que Pierre réserve sur son PC, après moult hésitations et navigations sur le Site web de la compagnie, en ayant cliqué d’abord sur l’onglet Promo. Alors qu’Aurélie réserve sur sa tablette, en renseignant ses dates du premier coup sans marges de manœuvre apparentes comme si elle avait une contrainte rendant son séjour absolument non flexible. Pierre pourrait être considéré, à tort ou à raison, plus sensible au prix qu’Aurélie. Mais est-ce un argument légitime pour différencier leur prix ? Le législateur aura à se prononcer. Mais à première vue, cela ressemble bien à de la discrimination.
Il va quand même falloir assumer de proposer un tarif plus élevé à un client plutôt qu’à un autre, en le regardant droit dans les yeux pour lui dire : « On pense que vous êtes peu sensible au prix d’après votre historique de navigation et vos achats passés. Donc, pour vous, ce sera 1200€. Merci. »
Ou alors il faut mentir au client. Bon courage aux équipes Marketing et surtout à ceux de la Relation Clients.
Au-delà de l’aspect juridique, l’éthique est importante dans notre profession. Une règle simple et de bon sens devrait s’appliquer à tous : être capable d’expliquer les yeux dans les yeux à un client la fabrique du prix sans avoir des trémolos dans la voix. Si ce n’est pas le cas, il faut revoir sa copie.
L’efficacité semble avérée côté Delta puisqu’ils entendent déployer leur algorithme plus largement, à 20% du périmètre contre 3% précédemment. Elle pose malgré tout question, pour plusieurs raisons :
– On suppose que l’algorithme va combiner cette tarification individualisée avec une approche Yield classique. C’est-à-dire qu’elle devrait surtout porter sur les vols de basse et moyenne saison. En effet, sur un vol de pointe prévu plein, tout le monde est supposé payer cher et il n’y a pas de place pour le Pierre hésitant à qui on proposerait un prix bas. Il prendrait la place d’une Aurélie qui peut payer davantage. L’algo serait donc plutôt pertinent sur un vol plutôt creux ou moyennement rempli, l’idée étant de faire payer cher des clients peu sensibles au prix, même si le Yield ouvre en grand les bas tarifs. Or, c’est déjà largement le cas avec la segmentation actuelle, où l’on voit grâce aux Fares Families ou aux Branded Fares que des clients bien segmentés peuvent payer cher même sur des vols creux, par exemple parce qu’ils réservent en aller-retour semaine (règle de la Sunday Rule) ou souhaitent de la flexibilité. Quelle valeur ajoutée réelle cette tarification différenciée extrême apportera-t-elle par rapport à la segmentation actuelle, qui est déjà très élaborée dans l’aérien ?
– Que fait-on de la Distribution ? On comprend bien que sur le Site web de Delta Pierre et Aurélie n’auront pas le même tarif, mais en GDS ? Si Aurélie sait dorénavant qu’en agence les prix ne peuvent pas être différenciés ou pas de la même manière en tous cas, elle pourrait passer par un distributeur pour éviter de se faire plumer. Quid de la gestion de la parité tarifaire ? Comment éviter la cannibalisation ? L’impact sur la Distribution est sans doute le sujet majeur de la tarification individualisée.
Il est à parier que connaissant l’existence de tels algorithmes, des petits malins trouveront la faille et s’y glisseront : création de faux profils et de faux historiques d’achat, mise à disposition de guides de navigation vous offrant la garantie d’être identifié éligibles à des tarifs réduits, etc. Depuis toujours, des starts up se sont créées pour surfer sur les lacunes et les dérives du RM & Pricing. Il y en aura là aussi, inévitablement. Une Aurélie cachée derrière un Pierre.
Au-delà de l’aspect légal, cette pratique à l’efficacité suspecte ou en tout cas bien fragile, repose sur un fondement difficilement défendable : les clients sont absolument uniques et méritent donc un prix différent pour chacun. Un prix par tête. Ou plutôt un prix à la tête du client. Les équipes marketing vont s’arracher les cheveux. Et les algorithmes prennent le contrôle.
Il n’y a plus d’humain. Il ne reste que des clients et des machines. Ça ne nous fait pas rêver…
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