C’est suffisamment rare pour le souligner, alors commençons par là : bravo au Monde et à Sylvie Andreau pour cet article étayé et bien documenté, qui sort des banalités que l’on entend souvent dans des media généralistes au sujet du Yield et du pricing dynamique. 4 points méritent malgré tout quelques précisions :
Segmentation ou discrimination ?
L’économiste cité dans l’article, Philippe Moati, cofondateur de l’ObSoCo, insiste sur la notion de justice et de normes sociales : « Si l’écart de prix est attribué à une cause non légitime, ça ne passe pas. La discrimination tarifaire n’est pas admise. C’est clairement ce qui s’est passé avec les places de concert. La pratique s’est heurtée à un principe d’équité d’autant qu’elle était inhabituelle dans la musique ».
Il a partiellement raison. La segmentation est permise car elle est légitime. La discrimination ne l’est pas, évidemment. Cette précision juridique est importante. Un peu de métier et beaucoup de bon sens suffisent à distinguer les deux. En revanche, monter les prix sur un concert – même de façon indécente – n’est pas illégitime. C’est peut-être maladroit, contre-productif, inopportun, mais ce n’est pas discriminatoire (c’est de la segmentation par date d’achat modulé par la vitesse de remplissage).
L’économiste nuance d’ailleurs son propos en fin de phrase. Il précise qu’au-delà du juridique, il y a l’acceptation du marché. Tous les consommateurs ne sont pas forcément prêts à digérer ce qu’ils ont déjà accepté dans les secteurs du tourisme et du transport en matière de variations tarifaires. Ce qu’ils ont compris dans l’hôtellerie ou l’aérien, ils le transposent plus difficilement quand il s’agit d’un dentifrice, d’une place de concert ou d’un robot Moulinex.
Cette composante est importante à prendre en compte. Le marché s’éduque. S’il n’est pas prêt à adopter une pratique, on peut le bousculer un peu, mais par petits pas. Sur le concert en question cela ressemble plutôt à un torrent de protestations, signe que le Yield a été pratiqué de façon sans doute trop brutale.
Les prix bougent-ils vraiment tout le temps ?
Plus loin dans l’article, on parle de « tarifs ultramouvants » et de « prix qui changent en permanence ». Nous allons nuancer ce propos. Même dans l’aérien, secteur qui est passé maître depuis longtemps dans l’art de faire varier les prix, les changements tarifaires sont en réalité assez peu nombreux. La combinatoire des dates, numéros de vols et typologies de voyage donne l’impression que chaque vol change de prix tous les jours. Mais cela reste une illusion.
Il y a beaucoup de prix présents simultanément en fonction de la typologie d’achat (One Way ou Aller-Retour, tarif plus ou moins flexible, voyage en semaine ou week-end compris, options bagages, enregistrement rapide, choix de siège, etc.). Cela ne veut pas dire que les prix bougent tout le temps, cela veut dire qu’il y en a beaucoup.
Comment maintenir une cohérence tarifaire ?
Réflexion pertinente d’Arnaud Grojean, responsable de l’analyse de données chez Carrefour, sur la cohérence tarifaire. Il cite l’exemple du jambon, dont le prix du paquet de quatre tranches doit rester cohérent avec celui de deux tranches. Quand il y a des millions de prix, l’exercice n’est pas trivial et l’on trouve régulièrement, par exemple dans le secteur des campings, des mobil-homes pour 6 personnes moins cher que celui pour 4 personnes, à niveau de confort équivalent.
Éviter ces incohérences demande une grande maîtrise de l’ingénierie tarifaire et de ses mécanismes sous-jacents, qui permettent de propager en cascade des variations de prix tout en maintenant, par construction, la cohérence des positionnements tarifaires. C’est un enjeu permanent dans la gestion des prix.
Pratiques déloyales ou Yield management ?
Enfin, ce que l’on appelle en fin d’article les « dark patterns » ou « procédés manipulatoires » renvoie directement au travail plus global mené par la puissance publique ces dernières années sur l’assainissement des pratiques commerciales. Cela touche plus ou moins directement le RM, mais il se sent bien sûr concerné. Le DMA (Digital Marketing Act) ou la récente directive Omnibus visent à encadrer et limiter des usages dont certains étaient clairement abusifs : des prix barrés après une hausse tarifaire fictive, l’annonce de fausses pénuries de stock ou le recours à l’IP Tracking. Ces procédés ne sont pas des leviers du Yield Management, mais de mauvaises pratiques commerciales que le RM se doit de combattre.
Un bon Yield s’assume. Il n’est pas nécessaire de se cacher derrière des hausses tarifaires masquées ou des pratiques commerciales déloyales. La règle est simple : si vous êtes à l’aise pour expliquer ce que vous faites à un client les yeux dans les yeux, faites-le. Sinon, il faut revoir sa copie.
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